Il reste difficile de circonscrire la notion de vulnérabilité des pères. Longtemps circonscrite aux seules conditions socio-économiques, les travaux de Dubeau et al. nous en donne une autre lecture, une perspective plus large qui inclue les changements profonds de la réalité des hommes [1].

Objectivité et subjectivité

Dubeau et al. parlent de « père en contexte de vulnérabilité » (pour déstigmatiser les vulnérabilités personnelles et placer le focus sur les conditions de vie). Ce contexte est vu selon deux dimensions : la dimension objective et la dimension subjective.

« […] la dimension objective telle que définie par Castel [2 – 4] où la « vulnérabilité s’inscrit dans un contexte social donné qui fragilise certains individus (p. exemple la spécialisation des emplois); elle est multidimensionnelle (économique, relationnelle) et elle doit être vue comme un processus (et non comme un état stable) selon un continuum allant de l’intégration à la désaffiliation. La marginalisation est vue comme l’aboutissement d’un double processus de décrochage par rapport : 1) au travail et 2) à l’insertion relationnelle. L’accent sera ainsi mis sur l’emploi (conditions socioéconomiques) et le réseau social (stabilité des relations intra et extrafamiliales). »

Le continuum Désaffiliation – Intégration selon Castel
Axe vertical : intégration à la société salariale et aux protections qui accompagnent le salaire (protection collective).

Axe horizontal : insertion dans une sociabilité socio-familiale et communautaire.

– Sphère de l’intégration : personnes bien intégrées sur le marché du travail et dans un réseau de proches

– sphère de l’assistance : personnes éloignées du marché du travail, mais intégrée dans un réseau de proches

– sphère de la désaffiliation : personnes éloignée du marché du travail et isolée (sans soutien social)

– sphère de la vulnérabilité où se combinent la fragilité des liens sociaux primaires et familiaux et la précarité sur le marché du travail

« L’équipe retient donc également la dimension subjective de la vulnérabilité en intégrant la perception que les principaux acteurs concernés accordent à ces facteurs de vulnérabilité. Ce faisant, ce n’est pas exclusivement la condition d’un individu qui le rend vulnérable mais sa perception de cette condition. Un faible revenu ne fait nécessairement un parent « pauvre ». De même, des pères bien rémunérés, à temps complet sur le marché du travail peuvent très bien vivre une vulnérabilité subjective »

Repenser la vulnérabilité et se mettre en jeu

Dubeau et al. nous invitent donc non seulement à repenser la notion de vulnérabilité, mais aussi à la considérer du point de vue de la personne qui vit dans un contexte de vulnérabilité. Il s’agit alors, pour l’équipe, de mettre en jeu sa propre vulnérabilité subjective, à la fois celle que l’on perçoit chez un père, et celle qui nous concerne. Nommer des inquiétudes, en acceptant qu’elles sont une interprétation de la situation en fonction de notre propre parcours.

De fait, toute l’équipe s’efforce aujourd’hui, autant que possible, de reconnaitre ses propres zones de vulnérabilité, tout en adoptant une posture à l’opposé des normes de socialisation masculines ; notamment dans la reconnaissance et la partage des émotions.

T.H

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[1] Dubeau D. et al Soutenir les pères en contexte de vulnérabilités et leurs enfants : des services au rendez-vous, adéquats et efficaces. (2015)

[2] Castel, R. (1991). De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation. Précarité du travail et vulnérabilité relationnelle. Dans J. Donzelot (dir.) Face à l’exclusion. Le modèle français (p. 137-168). Paris : Éditions Esprit.

[3] Castel, R. (1994). La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation, Cahiers de recherche sociologique, 22, 11-28.

[4] Castel, R. (1995). La métamorphose de la question sociale : Une chronique du salariat. Paris : Fayard.